Le délicat chant des oiseaux vint sortir Alice de son sommeil. Le voyage de Copenhague jusqu’aux locaux du CST l’avait épuisée et elle n’avait même pas pris la peine de fermer la baie vitrée qui donnait sur la forêt avoisinante à son arrivée. La jeune diplomate danoise contempla sa chambre que les rideaux plongeaient dans une semi-pénombre. Il s’agissait d’une jolie suite, moderne, bien fournie. Elle était plus habituée à la froideur marbrée du château des von Holstein à Kobenhavn, mais cette ambiance « business » n’était pas non plus pour lui déplaire.

La jeune femme n’était pas du genre à trainer au lit. De ses parents elle avait hérité la considération du temps en tant que denrée rare et précieuse. Elle se leva donc d’un pas assuré, traversa le petit salon qui faisait face à la chambre, se saisit de sa tablette posée sur la table basse et se dirigea vers la salle de bains. Après quelques manipulations sur l’objet numérique, elle lança un morceau de musique puis entra dans la cabine de douche et s’y relaxa quelques minutes.

Une fois sortie, elle passa plusieurs minutes à observer son reflet dans le miroir embué. Elle prenait aujourd’hui ses fonctions au sein de l’instance décisionnelle la plus importante au monde, en tant que représentante européenne. Ses parents, son frère et sa sœur auraient été tellement fiers d’elle. Si seulement ils avaient pu être présents pour assister à son succès. Depuis l’accident, Alice avait une pensée pour eux chaque jour. Toutefois, elle détourna bien vite son regard du miroir : on ne pouvait refaire ce qui avait été fait. L’avenir était devant elle, le passé derrière.

Sans plus de cérémonies, elle enfila un élégant tailleur jupe, ainsi qu’une paire d’escarpins, tout en consultant les nouvelles financières du matin sur sa tablette : si elle avait renoncé à exercer dans la société que ses parents lui avaient légué, la Finansbanken Global, elle n’en demeurait pas moins attentive aux actifs dont elle disposait encore dans la société financière. Les nouvelles étaient bonnes. Tant mieux, cela ferait un soucis de moins à traiter aujourd’hui. Elle appréhendait un peu ce premier jour au sein du CST, même si elle se sentait forte de son expérience précédente au sein du gouvernement danois.

Elle regarda sa montre, il lui restait 10 minutes avant l’heure fixée pour le rendez-vous avec son contact au CST. Après une brève touche de maquillage, un soupçon de parfum, la jeune scandinave s’installa dans l’un des fauteuils du salon, chaussa ses lunettes et alluma son ordinateur portable. Une cinquantaine de mails étaient arrivés dans la nuit, tous provenant de différentes ONG, ministères, ambassades, tandis que le dossier « Courrier personnel » restait désespérément, et même misérablement vide. Elle entreprit d’en commencer la lecture, attendant patiemment l’arrivée de la personne qui devait l’introduire à ses fonctions au CST.

Alice était en train de consulter la newsletter du Borgen, le Parlement danois lorsqu'on frappa trois coups à sa porte. Elle enleva ses lunettes, referma son ordinateur portable, et n'eut le temps de se lever que la porte s'ouvrit. La jeune femme fut quelque peu étonnée de cette pratique qui consistait à entrer sans attendre d'autorisation, mais après tout, peut-être s'agissait-il des us et coutumes du CST... ou des américains. Quoiqu'il en soit, Alice ne laissa rien transparaître et afficha un grand sourire, ce sourire qu'elle seule savait exécuter, presque crispé, tel un masque derrière lequel elle pouvait cacher tous ses secrets, ses pires émotions comme les meilleures.  

La porte s'ouvrant, elle découvrit un jeune homme à la carrure plutôt imposante, le visage sympathique mais sérieux. Il répondit à son sourire - ou peut-être fut-il le premier à le faire - par un autre sourire. Il était habillé d'un élégant costume noir. On aurait dit un homme des services secrets. Alice remarqua une montre à son poignet. Elle ne put déceler immédiatement l'identité de l'horloger qui l'avait confectionnée. Son père, homme d'affaires et financier danois lui avait toujours appris qu'on pouvait apprendre beaucoup de la personnalité d'un collègue par la montre qu'il portait.

Le jeune homme l'invita alors à le suivre. Elle se leva avec grâce, et lui tendit la main pour le saluer.

Dit-elle en se saisissant de son sac de grand couturier, posé sur le siège d'à côté, après y avoir glissé sa tablette numérique et son smartphone, ainsi que les divers badges d'accès qu'on lui avait donné à son arrivée dans la nuit.