Si vous le croisez, vous ne verrez qu'une bête hideuse, deux peut-être deux mètres de haut. A moitié lion, à moitié ours, à moitié... Un monstre surprenant aux cornes effrayantes et aux dents acérées. Une peluche géante à la dense fourrure brune. Une seule chose peut marquer, ce sont ses yeux, d'un bleu intense, presque métallique, aux reflets gris. Un vrai puits de tristesse, un lagon de solitude. Si on ne pouvait deviner son expression sous ses airs de monstre affamé, on pouvait en tout cas discerner ses émotions dans ce regard si expressif. Encore fallait-il s'attarder sur ses yeux et non sur ses énorme pattes aux griffes tranchantes comme du rasoir, ou encore ses vêtements déchirés par sa taille imposante. C'est en effet compliqué, de voir ce qu'il y a sous cette fourrure épaisse.

Et pourtant, ce qu'il y a sous cette masse importante de poile - sous cette illusion horrifique - se trouve le fantasme de beaucoup de femme. Quoi ? Qui n'a jamais rêvé d'un homme aux épaules larges, au bassin étroit, au dos en forme de V, qui aurait un sourire que même Apollon envierait ? Des cheveux blonds, une barbe naissante un peu virile. Il y a de quoi baver devant sa musculature marquée et... Et... Et sa peau douce quoi ! Oui, c'est le fantasme incarné de beaucoup de femme. Et puis, c'est sans parler de sa mâchoire carrée, et de son mètre quatre vingt cinq. Non, ce ne sont que des détails. Je crois que je n'ai même pas besoin de préciser qu'il a les mêmes yeux bleu acier que dans la vision que vous avez de lui. Quoi que ça fasse la différence tout de même.

Sous ses haillons élimés, voir même en morceau, il y a un homme qui ne porte exclusivement des costumes. Des costumes de marque, s'il vous plaît. Taillés sur mesure - du moins, autant que les costumières le pouvaient. Ses cheveux sont mi-longs, et toujours attachés en une petite queue de cheval, laissant seulement quelques mèches trop courtes revenir sur son visage. Bref, il est canon quoi.

Notre Bête est colérique et introvertie, il apparaît alors comme un être antipathique, aussi laid à l'intérieur qu'à l'extérieur. Cependant, il évolue au fur et à mesure qu'on essaie de le connaître et de savoir ce qui se cache sous une illusion aussi terrifiante, pour devenir plus attentif, doux et raffiné permettant peu à peu de découvrir le cœur qui se cache derrière cette apparence et d'ainsi faire naturellement apparaître petit à petit sa réelle apparence. Il peut avoir ses airs snob, et moqueur, mais la majorité du temps, il ne pense pas ce qu'il dit. C'est juste une façade pour cacher un coeur tendre.

Pourquoi la cacher ? Parce qu'il a souffert. Qu'il sait à quoi il ressemble aux yeux des autres, même s'il n'en connaît pas la cause. Et donc, il veut faire fuir, il ne veut plus s'engager. Il n'essaie même plus de se sociabiliser à vrai dire, sauf quand il est obligé. Alors oui, il est devenu paranoïaque et affreusement agoraphobe, mais un peu d'amour suffirait peut-être à le faire sortir de sa tour d'ivoire.

Cependant, paradoxalement, il n'hésitera pas à sortir de son appartement luxueux si c'est pour venir en aide à quelqu'un ou alors pour tenir un engagement. Il est comme un chevalier de l'ombre, un monstre qui ne se déplace que dans le noir pour ne pas effrayer tout le monde. Car ça, c'est sa plus grande peine. Et il se remettait, à chaque fois qu'il se couchait seul le soir, toujours en question dans sa "vie passée", où il traitait tout le monde avec mépris et supériorité. Il n'avait jusque là jamais connu l'échec, et en homme perfectionniste, il ne supportait pas d'être ainsi réduit. Etait-ce une malédiction ? Un peu comme dans les contes ? En tout cas, même s'il n'y croyait pas, ça y ressemblait largement.

Vous connaissez les contes de fée... Ou du moins, plus ou moins. Ce que vous ne savez pas, c'est que ce ne sont pas de simples histoires, de simples légendes. Du jour au lendemain, vous pouvez vous retrouver au beau milieu d'une de ces histoires à dormir debout, et vous ne comprenez même plus pourquoi ni comment... Juste comme ça.

Il était une fois, dans un pays lointain, un jeune prince qui vivait dans un somptueux château. Bien que la vie l'ait comblé de tous ses besoins, le prince était un homme capricieux, égoïste et insensible. Un soir d'hiver, une vieille mendiante se présenta au château, et lui offrit une rose en échange d'un abris contre le froid qui faisait rage. Saisit de répulsion devant sa misérable apparence, le prince ricana de son modeste présent et chassa la vieille femme. Elle tenta de lui faire entendre qu'il ne fallait jamais se fier aux apparences, et que la vraie beauté venait du coeur. Lorsqu'il la repoussa pour la seconde fois, la hideuse apparition se métamorphosa sous ses yeux en une créature enchanteresse.Le prince essaya de se faire pardonner mais il était trop tard. PArce qu'elle avait compris la sécheresse de ce coeur déserté par l'amour. En guise de punition, elle le transforma en une bête monstrueuse et jeta un sortilège sur le château et sur tous ses occupants.

La voix de sa mère résonnait encore dans sa mémoire, alors qu'elle lui contait "La Belle et la Bête" et que lui n'écoutait à moitié. Il était là, contre la baie vitrée de son immense loft luxueux. Adam n'avait jamais essayé de comprendre ce que sa douce mère tentait de lui inculquer au travers de toutes ces histoires. Et maintenant qu'il se retrouvait lui au beau milieu de ce conte sans queue ni tête, il ne savait plus quoi faire. Etait-ce vraiment son comportement digne des plus grands salaud parmi le gratin de la haute société qui avait provoqué cette malédiction ? Il ne cessait d'y repenser.

C'était enfermé dans sa tour d'ivoire qu'Adam gérait la grande firme familiale en Microbiologie, Virologie, Immunologie. Il venait tout juste de terminer ses études - qui avaient tout de même pris un quart de siècle - et il avait tout à prouver. Ce désastre social n'était pas ce dont il avait besoin. Comment allait-il faire sa place et s'imposer après son père, avec cette apparence hideuse ? Il n'était qu'un monstre avec un cerveau énorme. Cependant, ce n'était pas hors de sa portée. Il arrivait à apporter des résultats même en n'était qu'un fantôme, faisant passer ses ordres et ses idées par le biais d'une assistante.

Mais sa vie ne s'arrêtait pas là. Voilà deux ans qu'il se terrait de plus en plus dans son monde. Sauf la nuit. La nuit, il revêtait un large blouson de cuire, et il parcourait la ville avec sa moto, une Honda Goldwing. Si on n'entendait que lui, si on le voyait à peine passé, il aimait cette liberté qu'il s'offrait. Et ses petites escapades de nuit lui permirent de se faire une petite image de sauveur, de justicier.

Encore une histoire à dormir debout, me direz-vous. Racontant la vie d'un homme monstre empli de tristesse attendant l'amour de sa vie, ne sortant que le soir pour aller sauver des vies comme pour se racheter de ses fautes passées. Oui, ça semble être une histoire tirée par les cheveux, et pourtant... Et pourtant...