Le vol jusqu'à Venise avait été long, et difficile. Il n'y avait pas Paine pour l'apaiser. D'ailleurs, lorsqu'elle y pensait, elle culpabilisait beaucoup. Quelque chose de fort c'était passé entre eux deux, et il jouait énormément sur sa folie envahissante. Katharina semblait dépourvue de pouvoir lorsqu'il la touchait, ou simplement l'effleurait. Elle ressentait même un pincement, là dans sa poitrine, sans même que son autre personnalité de vienne agir d'une quelconque façon. Il n'y avait eu qu'au décollage, et à l'atterrissage, qu'elle avait ressentir beaucoup de peur. A vrai dire, elle avait été au bord de la panique, et si elle n'avait pas prit une triple dose de ses habituels cachets afin de s'endormir, elle y aurait certainement cédé comme lors de sa visite du Tokyo Game Show. 

Le temps entre le pays du soleil levant et celui de la "botte" était bien différent. Et l'air n'y était pas le même non plus. Qu'est-ce que j'ai fais... Pourquoi est-ce que je pars pour New York... Se répétait-elle en déambulant dans les rue pavées de la ville la plus romantique du monde. Elle s'y sentait étrangement bien, et détendue. Les gens autour d'elle la regardaient en coin, mais n'y prêtaient pas plus attention. Tout le monde semblait plus souriant, moins pressés. Etait-ce pour cela qu'elle-même pouvait se permettre de souffler un peu ? Elle n'en faisait pas encore le lien. Pour la pauvre jeune femme à la coiffure sauvage, persuadée d'être hantée par une double personnalité, c'était simplement la dose de cheval qu'elle avait prit des heures plus tôt qui continuait d'agir. 

C'est alors qu'elle se sentie las. Comme blasée, dépourvue de sentiments. Et il y avait cette fontaine. Magnifiquement taillée dans le marbre, de l'eau claire y coulait à flot. Ses petits talons claquaient sur les pavés alors qu'elle s'avançait vers elle. Quelque chose l'y attirait, quelque chose de bien plus fors que les simples émotions de Katharina. Lorsqu'elle y fit le tour, elle vit un homme, un jeune homme même, qui semblait avoir son âge. La migraine lui revint, et elle trébucha sur la fontaine. C'était assise à côté de lui, se tenant la tête, qu'elle essayait de se calmer. C'était comme s'il ne l'avait pas remarquée, comme s'il attendait simplement, sans rien dire. 

Attendez-vous quelque chose, ou quelqu'un, monsieur ? Dit-elle malgré elle, d'une voix éraillée par la migraine que lui provoquaient de vieux souvenirs enfouis.

Je réfléchissais à ce que je pouvais faire dans mon état actuel lorsque une jeune femme s'écroula à coter de moi:

Je regarda du coin de l’œil sans trop réagir et je me rendis compte que la jeune femme me parlait. Elle me demandait ce que je faisais là, je répondis machinalement que je réfléchissais, j'étais tout de même étonné qu'elle parle la même langue que moi. 

Je ne m'attardai pas cette jeune femme car celle-ci semblait salement amochée, elle devrait savoir qu'être ivre sur la voie publique est interdit et mal vu. Je m'écartai alors de quelques cm, je n'arrivais pas à me décider à partir, je sentais quelque chose de spéciale avec cette personne, et je comptais sur ses prochains propos pour savoir ce que c'était.

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Lorsqu'elle entendit sa voix, sa migraine amplifiait. Il fallait qu'elle se souvienne de quelque chose, mais quoi... Elle devait savoir, c'était impératif. Son inconscient n'allait pas tarder à lâcher les vannes de sa mémoire, et cela lui faisait mal. La réaction de ce garçon l'étonna, et dans son fort intérieur inconscient, elle était quelque part blessée. Comme si cette personne aurait du lui sauter dans les bras. Aïe... Ma tête... Katharina... Aide moi... Implaurait-elle une nouvelle fois, comme lors de sa rencontre avec Paine. C'est ainsi que, comme par magie, cette dernière se mit à nouveau au travail.

La paix était revenue en Kamiko. Mais contre toute attente, ce n'était pas le genre de calme qu'elle avait espéré ressentir. Ses yeux bleus électriques se rivèrent à nouveau vers le jeune homme avant de fixer à nouveau l'hôpital en face d'eux, elle remarqua d'ailleurs qu'il avait les mêmes. Mais ce sentiment de vide, de lassitude, l'empêchait de sourire à ce détail. Elle avait envie d'attendre. D'attendre sans savoir quoi, mais d'attendre là à ses côtés. A quoi pouvait-il réfléchir ? Est-ce que lui aussi attendait quelque chose qui ne semblait pas venir ? Son visage lui disait quelque chose.

Cette migraine va me tuer si elle continue... Murmurait-elle dans un autrichien parfait sans même s'en rendre compte.

Au bout de quelques secondes de silence, où seul le bruit des passants et des rues alentours se faisaient entendre, Kamiko se tourna à nouveau vers lui. Cette fois, elle n'avait pas l'air vaseux, juste la même expression - vide en l'occurence - que le jeune homme. A les regarder de l'extérieur, ils avaient vraiment un air de ressemblance avec le visage qu'elle portait en cet instant, c'était frappant. Mais comment pouvait-elle le deviner ? Comment pouvait-elle se souvenir ? Les portes de son inconscient frappaient encore et encore, la serrure étant prête à céder.

Excusez-moi, Monsieur, de mon impolitesse. Intervint-elle soudainement, cette fois-ci en anglais avec son habituel accent autrichien. Mais il me semble que je vous connais. Je ne sais pas d'où. Et ne me demandez pas non plus comment, mais je sais, je sens, ce qui ne va pas. Solitude, haine, lassitude. Elle parlait vite, trop peut-être, et lorsqu'elle s'arrêta, c'était surtout pour respirer un peu, prendre une grande inspiration. Je suis folle, mais pas idiote. Remarque plutôt sensée pour une schizophrène, il faut avouer.

Je fût tout de suite surpris par la soudaine "reprise de conscience" de ma camarade d'attente. Mais ce qu'elle me disait me paraissait étrange, ses phrases étaient entrecoupées de remarques qu'elle semblait se faire à elle même. Elle devait être vraiment dérangée, mais elle m'avais aussi surpris par la dernière remarque qu'elle avait faite: "je suis folle, mais pas idiote". Cette phrase me semblait tellement pleine de sens, que j'eu un instant l'espoir que cette jeune femme soit peu être cette alter ego que je cherchais. Ce serait vraiment bizarre de trouver l'objet de mes recherche en attendant au pied d'une fontaine.

Vous avez besoin d'aide, mademoiselle? voulez-vous que je vous raccompagne? Vous ne semblez pas en forme. Je ne sais pas si on se connait mais cela pourrait être possible, je vous ai entendue parler autrichien et je suis originaire de là bas. Qui sait, on s'est peu être déjà croisé?

 dis-je en prenant soin de ne pas paraître trop froid pour éviter de faire fuir ce qui pour moi ressemblait à un farouche animal.

Boum boum. Boum boum. Boum boum.

Dans sa tête, c'était un feu d'artifice, son coeur bombardait avec force, comme jamais elle n'avait ressenti ça. La migraine était vraiment forte, à tel point qu'elle en voyait trouble, maintenant, il y avait deux, peut-être trois, ou quatre. Arrêtez de tourner ! Elle hurlait intérieurement à toutes ces images de s'arrêter. Mais qu'est-ce qui n'allait pas chez elle enfin ? C'était cet homme, tout venait de cet homme. Elle venait de le croiser, par un hasard plus imprévu que n'importe quel hasard. Le Joker venait de tirer sa carte. La porte allait céder. Et dans son crâne c'était la panique. C'était aussi le timbre de sa voix. Il lui rappelait quelque chose. Elle ne savait pas quoi. Et plus elle cherchait, moins elle trouvait, plus elle avait mal de tête.

Backe backe Kuchen
Der Bäcker hat gerufen.
Wer will guten Kuchen backen,
der muss haben sieben Sachen,

Une chanson pour enfant trottait dans sa tête, chantée en autrichien par une voix semblable à la sienne. Oui, c'était ça ! Sa voix ! Sa voix en plus de son regard. Il y avait quelque chose qu'elle connaissait. Le cadenas qui liait ses souvenir était en tension. Comme sa pression artérielle d'ailleurs. Et elle devait sembler bien plus folle que quelques instants plus tôt, à le fixer avec les yeux si écarquillés que ses yeux auraient pu sortir d'eux-même de leur orbite. Ses yeux si bleus habituellement, étaient tellement foncés par la douleur qu'ils semblaient marine. C'était sur le bout de la langue, elle était sur le point de deviner, de savoir un pan de son passé oublié.

Eier und Schmalz,
Zucker und Salz,
Milch und Mehl,

Elle n'arrivait pas à s'en défaire. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Puis d'un coup, ce fut comme une révélation. Elle se voyait comme dans un miroir face à cet homme. Oui, ils s'étaient croisés en Autriche, lorsqu'il étaient enfant. Cette comptine était une clé pour ouvrir les vannes de ses souvenirs. Mais il y avait autre chose, elle le sentait. C'était bien plus fort qu'une rencontre. D'un geste tremblant, elle attrapa une de ses mains, et y enlaçait ses doigts. Ce geste lui semblait familier, même si le fait de prendre la main d'un parfait inconnu la fit rougir de gêne. Ce simple contacte fit battre son coeur, comme s'il battait à nouveau pour la première fois, comme s'il venait de retrouver un rythme normal. Et puis... Kath fut comme affolée à l'intérieure d'elle. Comme si elle ne voulait pas qu'elle ne le touche. Comme si elle gardait un secret trop longtemps gardé.

J-Je suis désolée, de vous... vous... vous prendre... La main. Mais c'est que... Lui bégayait-elle, détournant le regard vers l'eau de la fontaine. C'est alors qu'elle vit leur reflet respectif se prendre la main.

Safran macht den Kuchen gehl!
Schieb, schieb in’n Ofen ’nein.

Ils avaient le même visage, à quelques détails près. Ils avaient la même posture. Elle le voyait très bien, elle le devinait même énormément. Ils avaient les mêmes yeux, la même expression. C'était flagrant. Elle tournait alors à nouveau son regard vers le jeune homme. Là, une scène s'offrit à ses yeux. Elle voyait deux enfants, qui courraient riant à plein poumon. Ils dévalaient une pente abrupte avant de se laisser tomber et rouler tout le long, salissant leurs beaux vêtements de chlorophylle. Maman ne sera pas contente ! - On s'en fout, c'est trop marrant ! Et ils recommençaient, encore et encore, jusqu'à revenir chez eux, entièrement verts à cause de l'herbe fraîche. C'était elle. C'était elle ! Et c'était lui ! C'était...

Pardon mais... Est-ce que vous n'auriez pas perdu... une... soeur ? murmurait-elle, en retirant sa main de la sienne. Je crois que... je suis votre... enfin... soeur.

Ma sœur ?!  Comment pouvez vous savoir que j'avais une sœur? Et qu'est qui vous fait croire que je goberai ça, je n'ai pas le temps pour vos entourloupes!

Cette jeune femme qui me faisait terriblement penser à ma fameuse sœur dont j'ai été séparé lors de mon départ en Amérique venait de toucher un point très sensible pour moi. J'avais en effet longtemps culpabilisé de notre séparation. Je me rendis compte en voyant le visage grimaçant de mon interlocutrice que j'avais laisser mon instinct sauvage et farouche prendre le dessus:

Excusez moi, je me suis emporté, écoutez, si nous allions autre part pour parler de ça? Enfin, je voudrais d'abords vous posez juste une question, qu'est ce qui vous a fait conclure en si peu de temps que vous seriez mon hypothétique sœur?

Je commençais alors à me lever et je tendis la main vers elle, il allait falloir un moment avant qu'elle se rende compte de mon geste, je pense, car elle été encore immobile et regardait l'eau de la fontaine s'écoulée, peu être que ça l’apaisait, moi en tout cas, cela m'impatientait, je dis donc de manière dynamique pour attirer l'attention de la jeune femme:

Vous venez?

Sa première réaction effraya la jeune fille. A telle point qu'elle s'était légèrement repliée sur elle-même. Grimaçant. Après tout, elle avait été assez naïve de lui dire ça de but en blanc. Elle même n'aurait pas cru cet homme si on était venu lui dire ça du jour au lendemain, surtout après une première rencontre assez étrange au bord d'une fontaine. Puis, elle le regarda se lever, et l'écoutait parler. Son regard se calmait petit à petit alors qu'elle fixait de nouveau l'eau de la fontaine, glisser avec autant de force que de grâce le long du marbre blanc. Ce fut sa voix qui la fit revenir sur terre, alors qu'elle se perdait dans un souvenir qui lui revenait encore petit à petit.

Elle lui prit alors la main, une seconde fois, dans un sourire gêné, et s'appuyait doucement sur lui pour se relever. Kamiko, en cet instant, semblait comme une fleur de lotus, d'une douceur remarquable, mais aussi très fragile. N'importe quoi aurait pu la faire tomber, ses jambes auraient pu céder sans raison. En réalité, c'étaient tous ces souvenirs, qui revenait, qui l'envahissaient depuis cette porte aux gonds éclatés. C'était comme si elle était un arbre chétif au beau milieu d'un ras-de-marée, qui tentait de ne pas se laisser emporter par le courant. Dans un soupire, elle lâcha sa main. Mais c'était pour la reprendre délicatement, enroulant ses doigts longs et froids autour de son poignet.

Je le sens. Ici. Elle lui prit la main et se la posa sur la tête. Et ici. Maintenant, elle la posait sur ton torse, juste au dessus de sa poitrine. Je le sens, je le sais. Je pourrais raconter de multiples souvenirs... Ah ! Peut-être que ça vous parlera plus qu'à moi...

En lâchant sa main afin de le libérer de sa petite emprise, elle se mit à chantonner la petite comptine pour enfant qui lui trottait dans la tête depuis quelques minutes. Ses joues étaient plus rouges encore que quelques instant plus tôt, et elle détournait son regard pour le perdre un peu nerveusement autour d'eux. Elle craignait que quelqu'un puisse l'entendre, autant que le fait que cet homme qui pour elle était son frère, son jumeau à priori, ne se moque d'elle. Lorsque la comptine fut finie, elle se racla la gorge, complètement gênée.

Je pense que nous pouvons en parler autour d'un café...